Régénération

Je ne sais pas bien pourquoi, mais j'ai décrété que, même si je l'ai depuis une semaine sur mon ordinateur et qu'il sort d'ici quelques heures sur les plateformes de téléchargement légal, je n'écouterai pas Point de suture avant de l'avoir en vrai dans les mains. J'ai déjà un peu cédé, sur deux titres, mais non, euh, j'en ferai pas plus, je veux résister, bordeleuh! Alors, pour passer le temps, j'écoute C'est dans l'air de Véronika Loubry, mais aussi Avant que l'ombre..., pour me rappeler pourquoi je n'en ai écouté que cinq chansons ces trois dernières années et à quoi peut bien ressembler Derrière les fenêtres qui fait partie de la catégorie sus-citée mais dont je suis atrocement incapable de fredonner l'air. Et c'est là l'occasion inespérée de chroniquer enfin sur ce blogue -qui existait déjà à l'époque de la sortie, c'est dire- le dernier album de Mylène Farmer. Un album, autant le dire tout de suite, qui part avec un a priori un peu négatif, et pas seulement parce que je n'ai plus écouté Aime depuis avril 2005.

Le problème de l'album, Mylène Farmer le dit elle-même dès le début: «Avant que l'ombre, je sais que j'ai aimé». Et voilà! Elle a commencé suicidaire à chanter avec bonheur des histoires de viol, de mort, d'au-delà ou d'absence d'au-delà, et sans même qu'elle s'y attende, l'amour lui est tombé fort sur le coin de la figure (au point de l'obliger à la chirurgie esthétique, c'est dire comme ça a dû être violent). Seulement, problème, maintenant qu'elle est épanouie dans sa vie, qu'est-ce qu'il lui reste à raconter? C'est tout l'enjeu de Avant que l'ombre..., un album différent des autres, mais aussi complètement dans la continuité des autres. Il s'ouvre sur la chanson du même titre, une très longue et belle ballade de 5'55, comprenant une minute de petits cris sur les nappes de synthé, qui aurait été très crédible en fin de disque... Peut-être est-ce là un appel désespéré de Mylène qui espère que les gens arrêteront d'écouter déjà, et donc n'entendront pas la suite...

La suite, c'est tout d'abord Fuck them all, premier single de l'album. Aussitôt, une question se pose: pourquoi? Est-ce de la dance ratée, comme les couplets dynamiques le laissent penser? Est-ce du mauvais rap, comme le pont parlé le laisse croire? Quant au message, partiellement écologiste et féministe, qu'est-ce qui lui a fait croire que c'était cool pour une chanson? Dans un état second, c'est vaguement entraînant, au moins sur les «Fuck them all», mais sinon, c'est surtout insupportable de ne pas comprendre ce qu'elle dit (ou plutôt soupire, c'est bien là le problème) à chaque refrain. C'est une ballade qui suit, Dans les rues de Londres, et cette alternance sera respectée presque jusqu'au bout. Le morceau est beaucoup plus classique, voire trop classique, et même musicalement assez daté eighties. Les nappes de synthé sont trop présentes (et ce n'est qu'un début), comme si Laurent Boutonnat ne savait plus se retenir depuis qu'il a commis Mes courants électriques... Les aigus de Mylène sur les derniers «pour voir» nécessitent de bonnes enceintes bien réglées pour éviter toute irritation au niveau du tympan, tandis que son message est particulièrement obscur pour les béotiens (si tant est qu'il y en a un, en plus de l'hommage à Virginia Woolf, pour peu qu'on puisse qualifier une citation d'hommage).

Avec le morceau rythmé suivant, Mylène tente à nouveau de montrer une nouvelle facette. Et, en se limitant à la musique d'intro (dix secondes à tout casser), Q.I. est une agréable surprise. Ça se gâte ensuite, tant la musique est parfois très simple pour finir en cacophonie. Mais Mylène ne sauve pas les meubles. Ni par son chant mélangé à des murmures de plaisir, ni par sa prononciation surarticulée (malgré sa façon amusante de prononcer «sanctuaiiiire»). Quant au texte, contrairement ç ce que laisse penser le titre, il est loin d'être très intellectuel: Mylène parle de sexe et semble y prendre un certain plaisir (d'où les gémissements, probablement) mais «ton QI, mon cul est, ton QI, CQFD» n'est pas son chef-d'œuvre. Pour se remettre, on peut profiter des vingt secondes de flottement qui ouvrent Redonne-moi, avant que la musique ne se fasse clairement entendre.

Il s'agit là encore d'une ballade particulièrement farmerienne, jusque dans la manière de chanter borderline, comme si elle allait pleurer devant la beauté de son texte (ou comme si elle n'atteignait que difficilement les notes). Le refrain est un chouia plus agréable, plus musical, et le pont à la clarinette (rendu un peu bontempiesque par les arrangements, encore) aurait été très bien dans Innamoramento. Là, on est juste au bord de la mort, tant elle a l'air déprimée et neurasthénique. C'est le syndrome «hou la menteuse, elle est amoureuse, mais elle veut garder ses fans».

Pour réveiller son public endormi, quelques bruits bizarres, comme des chutes de The Farmer's conclusion, qui finira par un rire un peu plus effrayant que celui de Méfie-toi. Entre les deux, Porno Graphique est une chanson beaucoup plus légère, beaucoup plus rythmée, beaucoup plus intéressante. La voix est parfaitement retouchée (avec elle-même dans le rôle de la voix grave en écho puis dans le rôle de la dame qui crie en fond), la musique est parfaitement destructurée. On parle encore de cul, mais ça touche un peu plus au génie que Q.I.. On retombe dans un schéma bien plus banal avec Derrière les fenêtres. À nouveau Madame est déprimée, à nouveau Madame en fait des caisses dans les fins de phrase («quand ils sont deuuuuux»). Il reste une bien jolie ballade, loin d'être impérissable, mais mieux travaillée, tant sur la voix que sur le violoncelle du pont, mais qui s'arrête un peu brutalement, là où un fade-out aurait été bienvenu.

Heureusement, voilà Aime, un titre entraînant avec une musique dance un peu ringarde sur le refrain, ses «Aiiiiiiiiiiime» et ses paroles niaises proches du niveau des rédactions qu'Alizée faisait en CM2. La fin est brutale, mais après tout, tant mieux, il est certaines chansons dont personne ne souhaite être l'auditeur. Pour poursuivre dans les paroles évidentes, on apprend que «vivre est ce qu'il y a de plus rare au monde» (pourtant les ombres...) dans Tous ces combats, qui est donc une ballade, qui gagne encore en sobriété musicalement. C'est plutôt beau, mais pas bien original. Et puis elle commence presque à être gonflante avec tous ses mots bizarres qu'elle nous invente... Oui, elle a la «melancholia», et alors?! Néanmoins, Mylène Farmer chante normalement et on la comprend, preuve que c'est possible.

Mais c'est sur cette révélation qu'un drame se noue et que le (très) fragile équilibre de l'album se rompt: Ange, parle-moi est encore une ballade. Elle y soupire, elle y appelle «Don't let me die, l'ange» (une réponse aux «Please let me die» de La ronde triste?), c'est franchement pompeux, l'évocation mystique est particulièrement lourde et tout ça est bien dommage pour la musique, un bête piano (de Yvan Cassar, quand même) mais un joli piano. Un mini-moment de grâce, pourtant, le pont, avec les «parle-moi, parle-moi» en voix grave.

L'amour n'est rien permet de détendre un peu l'atmosphère: on retrouve un peu de rythme, des claps rafraîchissants et une voix murmurée plus amusée et donc un peu plus naturelle. C'est encore une histoire de cul (il ne manquerait plus que Mylène écrive des chansons sur des sex-toys pour finir de passer pour une obsédée) et le refrain est malheureusement un peu en-dessous (trop d'arrangements, trop de soupirs, comme ça, tout le monde est fautif!). Même s'il est assez planant, le pont est inutile à la chanson et sent bon le «je ne m'écarte pas de mon schéma classique couplet refrain couplet refrain pont refrain fois deux», comme si Mylène Farmer et Laurent Boutonnat se sentaient un peu obligés de faire du Mylène Farmer.

J'attends souffre à son tour des défauts des ballades précédentes, et encore cette manie d'en faire un peu des tonnes («du plus que je puis», tu peux pas parler normalement, non?) mais c'est là une chanson d'amour plus convaincante, magnifiquement emmenée par la musique des refrains et les montées de voix des «J'attends», jusqu'au pont très minimaliste et les jeux de voix de Mylène en chœur sur les derniers refrains... Même s'il ne faut pas en avoir, un seul regret: la fin de la chanson avec une saturation sonore comme si on débranchait une guitare électrique, qui passait sur L'instant X, mais on n'est pas tout à fait dans la même ambiance... Sauf qu'il s'agit d'une transition en douceur avant les «Shut up» qui ouvrent Peut-être toi, un peu de techno boum boum assez lassante et répétitive, et qui ne semble même pas chantée avec conviction sur les refrains (où il faut surtout tenir la note assez longtemps).

Enfin, voilà la dernière chanson, Et pourtant, un titre très calme, aux mêmes qualités que J'attends ( à nouveau une voix poussée jusqu'aux plus hauts aigus et des chœurs) mais avec des synthés discrets. C'est simple et sobre, mais, en conséquence, assez sublime pour terminer.
Avant qu'une minute plus tard, une musique semble venir des profondeurs, pour un trip assez planant, une chanson OVNI comme Mylène les fait si bien, chanté d'une voix grave et de longs «Nobody knooooooooows» particulièrement entêtants.

Au final, Avant que l'ombre..., plus que tous les autres albums, alterne les titres d'une qualité très variable, avec une vraie volonté d'alléger le propos général, de l'optimistiquer. Mais Mylène et Laurent, en ne voulant pas une révolution trop brutale, s'embourbent aussi dans les tics du duo depuis vingt ans, jusque dans l'imagerie. Qui pourrait imaginer qu'un album parlant tellement d'amour ou de sexe se retrouve doté d'un livret si noir et d'une photo avec une croix en allumettes?

Commentaires

simon p. a dit…
Mouhaaaaaaaaaaaaa. Très, très drôle.

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