Fantasia et les ploucs

Les cinéphiles s'accordent à dire que Fantasia est un chef-d'œuvre de Walt Disney, profondément en avance sur son temps. Si ce n'est le seul de celui qui, par ailleurs, fit surtout des bluettes niaises pour les enfants, comme Blanche-Neige et les 7 nains, Cendrillon, Bambi ou, pire, La Belle au Bois Dormant. Les gens normaux, dont j'avoue faire partie, gardent avant tout de Fantasia l'image d'un film long et chiant. Mais, parce que je suis un être courageux et que le film est ressorti récemment (dans une salle pour toute la France), j'ai mené pour vous une grand expérience:

J'ai été voir Fantasia au cinéma

Il est important de préciser que, pour compenser l'évident confort apporté par la projection dans une salle de cinéma, la copie projetée était celle de la version 1982 du film, réenregistrée intégralement (incluant une voix de Mickey particulièrement grave), mais surtout une copie de qualité plutôt médiocre, avec des tâches vertes, des images à l'envers et pas de générique... Mais qu'importe, il n'en fallait pas plus pour découvrir une énorme révélation, absolument EXCLUSIVE:
Dragon Ball a tout pompé sur Fantasia!

Toccata et fugue en ré mineur, de Jean-Sébastien Bach, in Fantasia (1940)

Dragon Ball, épisode 1 - Le grand départ (1986)

J'en vois qui sont dubitatifs... Je décide donc immédiatement de renoncer à mes talents de Grand Inquisiteur Morandiniesque et je retourne à Fantasia. Reprenons donc dès le commencement, à savoir le générique de Il était une fois... l'Homme mais en version longue, également connu sous le titre pompeux de Toccata et fugue en ré mineur... Pour l'illustrer, les réalisateurs ont choisi de faire dans l'abstrait, prétextant qu'il s'agit là d'une musique qui existe pour elle-même, avec des nuages, des archets... Forcément, à côté de la transformation des Crackers Belin en papillons au son de la Symphonie n°5 (qui ouvre Fantasia 2000), ça paraît tout aussi obscur mais un peu plus longuet. Mais, grâce à Fantasia, la notion de "longuet" doit être relativisée.

Le segment suivant met en effet en scène le ballet Casse-noisette. Il présente un passage visuellement joli plein de fées et de givre avec une musique relativement connue (celle des Ferrerro Garden), puis un morceau relativement inconnu mais servi par des champignons qui dansent, puis un morceau encore connu (Ferrerro Rocher, cette fois) qui compensent une narration faiblarde, avant que l'équilibre ne soit définitivement rompu, les deux parties suivantes n'étant ni transcendantes visuellement, ni suffisamment connues pour être complètement accrocheuses. On touche déjà au problème majeur de Fantasia: une volonté de vouloir en mettre le plus possible, quitte à dégoûter un peu... Un peu comme moi avec mes contrôles, par exemple, qui sont toujours un peu trop longs parce que je n'ai pas su en amont quoi squeezer et que j'ai finalement tout laissé...

Mais ça passe encore, d'autant qu'arrive L'Apprenti Sorcier. On résume facilement Fantasia à L'Apprenti Sorcier, et pourtant, L'Apprenti Sorcier est exactement tout ce que Fantasia n'est pas: une rencontre parfaite entre une musique et une histoire. Sans L'Apprenti Sorcier de Dukas, L'Apprenti Sorcier de Disney ne serait certainement pas aussi fortement resté ancré dans les mémoires, et réciproquement. Tout est réellement parfait dans ce court-métrage, qui propose une vraie progression dramatique absente jusqu'alors du film.

Il y a aussi une progression dramatique dans Le sacre du printemps, mais essentiellement vers l'ennui. Ce quatrième segment du film dure plus de vingt minutes, pendant lesquelles l'Histoire de la Terre nous est présentée dans tous ses détails, jusqu'aux dinosaures qui s'entretuent comme dans les meilleurs Jurassic Park, mais servie par une animation extrêmement datée. Et puis, vraiment, c'est trop long, même quand on a un voisin qui étale sa science devant son petit frère en présentant les stégosaures, les brachiosaures et les archéoptéryx. Heureusement, on peut un peu respirer (et même sourire) avec le numéro suivant, et la rencontre du public avec une piste sonore très timide.

Le répit est bref pour qui ne s'intéresse ni à la mythologie grecque, ni à La Symphonie Pastorale, et qui ne trouvera donc d'intérêt au cinquième segment que dans sa dernière partie, une fois passée de trop longues scènes d'introduction inutiles impliquant des faunes, des centaures et des pégases. Mais finalement, Fantasia est bien construit: L'Apprenti Sorcier était stratégiquement placé, les deux derniers segments sont très réussis. La Ronde des heures tout d'abord, qui met en scène un ballet d'abord très académique, mais interprété par des autruches, avant de faire intervenir une ribambelle d'animaux très bien campés, desquels un hippopotame et un crocodile se détachent, évidemment. Enfin, le film s'achève sur Une nuit sur le Mont Chauve/Ave Maria qui confronte en une seule écoute un morceau à la mise en scène très décadente, avec squelettes, monstres et une forte inspiration du cinéma expressionniste allemand, avec le répit apporté par l'Ave Maria à la mise en scène très sobre et qui permet de sortir lentement du concert de deux heures que représente Fantasia.

Verdict: oui, Fantasia est trop long; oui
, Fantasia n'est pas toujours très égal. Mais il en reste trois morceaux d'anthologie, et une très forte envie de revoir Fantasia 2000, ses Crackers Belin ou Donald et son Arche.

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