Hergé 007


J'ose le crier, même si ce ne sont pas des choses qui se disent si on aspire à une certaine branchitude, Hergé était un Génie, avec un G majuscule! Évidemment, on peut lui reprocher d'avoir écrit Tintin au Congo, qui est quand même un peu raciste (au moins ultra-colonialiste) sur les bords, mais, même si ce n'est pas une excuse, tout le monde le faisait en 1930. On peut critiquer le fait qu'il ait choisi de travailler au journal Le Soir, dirigé par les nazis, pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais force est de constater que les œuvres qu'il y a publiées alors (L'Etoile Mystérieuse, Le Secret de la Licorne, Le Trésor de Rackham le Rouge, Les 7 boules de cristal) tiennent plus du roman d'aventures en images que du pamphlet antisémite... On peut arguer que, en 1940, baptiser un financier véreux du nom de Blumenstein, c'est franchement discutable, mais il faut aussi noter qu'il a lui-même corrigé ce détail en le baptisant Bohlwinkel, sans savoir que c'était un peu pareil. On peut trouver d'un intérêt très limité l'album Tintin et les Picaros, mais ce serait oublier que son auteur avait alors 50 ans de Tintin dans les pattes et qu'il aspirait à un peu de repos. On peut éventuellement être choqué par un homme qui quitte sa femme depuis près de 30 ans pour sa secrétaire tellement plus jeune. On peut penser que son Tintin, c'est surtout extrêmement vieillot et un peu chiant comme la mort. On peut s'étonner que les femmes de Tintin soient toutes si peu féminines, à l'image de Bianca Castafiore.
On peut...
Mais alors, il faut aussi se rappeler qu'en 1935, Hergé prend position pour le peuple chinois opprimé par son voisin japonais dans Le Lotus Bleu. Il faut noter que, dans L'Affaire Tournesol, Hergé est capable de prolonger un gag avec un sparadrap sur près de la moitié de l'album. Il faut avouer que Hergé aura été le précurseur de toute une école d'auteurs, publiée dans le journal Tintin à partir de 1946, qui auront eux-mêmes fait toute la bande dessinée des années 1960/70, après avoir lui-même réinventé des règles encore très hésitantes dans les années 1920/30. Il faut féliciter l'audace d'un auteur lassé qui cherche à briser les mythes qu'il a créés, en rendant Rastapopoulos, son héros magnifique, absolument pathétique dans Vol 714 pour Sydney, ou en faisant du Général Alcazar un époux dominé par une acariâtre épouse à l'idéologie gauchiste pas si différente de l'idéologie tyrannique de son rival Tapioca. Il faut s'incliner devant le chef-d'œuvre narratif que constituent Les Bijoux de la Castafiore, soit 62 pages de fausses pistes, de non-intrigues et d'indices habilement dissimulés dans les plus petits détails. Il faut admettre la richesse de la galerie de portraits créée en 23 albums, du pénible Lampion à l'irascible Haddock, en passant par Abdallah, Tournesol, la Castafiore, Dupond et Dupont, qui font oublier le côté boy-scout du héros parfait. Il faut admettre l'acharnement de l'auteur à toujours essayer de réactualiser son œuvre, de la rendre plus attrayante à un nouveau public, en redessinant ses premiers albums pour les coloriser dès 1943, voire en reprenant intégralement L'Ile Noire en 1965.

Le 22 mai 1907, à Etterbeek, naissait Georges Remi dit Hergé. Un siècle plus tard, lui, comme son héros, sont plus que jamais sur le devant de la scène, après quelques années de gérance ultra-élitiste de Nick Rodwell, Monsieur Veuve Hergé, à la tête de la Fondation Hergé, de Pixi dont les prix s'envolent et les modèles se raréfient, de beaux livres que ça se sent quand on les achète, de recentrage extrême sur l'œuvre d'Hergé, interdisant toute illustration à tout éventuel détracteur, y compris Albert Algoud, de tee-shirts griffés, d'un surmarchandising au rayon papeterie, de réutilisation des fonds de tiroir avec rééditions de Tintin au pays des Soviets pour les 70 ans ou de Tintin et l'Alph-Art pour les 75 ans... À Louvain-La-Neuve, le Musée Hergé est enfin en marche, tandis qu'après vingt-cinq ans de négociations et quatre Indiana Jones, Steven Spielberg a confirmé la mise en chantier d'une trilogie Tintin, co-réalisée par Peter Jackson et utilisant de nouvelles techniques d'images de synthèse.
Hergé était peut-être un personnage un peu trouble, Tintin est peut-être un personnage un peu lisse, mais ensemble, ils constituent l'un des piliers de la bande dessinée européenne. Et même Joann Sfar a fini par le reconnaître.

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