Vite, vite, il y a urgences!

Aujourd'hui était une journée importante, au moins concernant mon cours de sixièmes. Après quinze jours à reculer l'échéance encore et encore, c'était le grand saut: enfin, mon planning prévoyait pour ce jour mon premier nouveau cours de géométrie, oubliant le rituel (mais moche) «Point, segment, droite» pour le remplacer par une optique de géométrie à partir de la vie quotidienne, de perception de polygones dans des drapeaux, des tables, des escaliers puis de tracés à main levée. Comme ça, ça a l'air chiant, mais je vous assure, tout a été pesé et réfléchi, même si, finalement, la feuille d'activités a été tapée/photocopiée/découpée/collée hier soir vers 23h...

Et puis, finalement, face au stress, j'ai joué petits bras et j'ai reculé. Alors, comme tout bon élève qui se respecte, j'ai été à l'infirmerie, sans vraie raison valable, attendant toutefois l'interclasse, par souci d'équité, refusant moi-même ce genre d'expéditions à ceux qui se découvrent un mal de ventre magique... Mais sans davantage d'excuses valables: va-t-on sérieusement à l'infirmerie pour de bêtes fourmis dans les doigts, un problème pour voir sur les côtés, une impression désagréable que quelqu'un s'amuse à appuyer sur vos yeux ou une difficulté à sortir les bons mots de sa bouche en dictant une consigne tout en butant largement quand, une fois l'erreur entendue, on essaye de la corriger?
Non, hein?
Mais comme j'avais les quatre à la fois, j'avais l'alibi parfait à présenter pour pouvoir tranquillement rentrer chez moi et repousser encore un peu cette terrible date-butoir.

Seulement voilà, l'infirmière a semblé trouver ça ennuyeux et, après quelques tests très basiques, elle a jugé plus amusant d'appeler une ambulance, destinée à m'emmener à l'hôpital d'à côté ou les examens seront bien plus poussés, surtout si on va jusqu'au scanner...
Un scanner...
Ha ha ha.
C'est très drôle, madame l'infirmière.

N'empêche que, un peu avant la récré, l'ambulance était là, avec un brancard pour sortir comme une star du collège, devant les quelques élèves déjà là pour commencer leur journée à 10h, les veinards. Du moins, j'aurais adoré profité de cet instant, tout en dévorant des yeux le brancardier face à moi, mais il m'a surtout fallu lutter contre la honte d'avoir sur les genoux une atroce couverture ornée d'un merveilleux chien, de type labrador aux yeux bleus, assis sur de l'herbe verte devant un merveilleux ciel dégagé. Et aussi une légère sensation nauséeuse, dûe à mon mal de tête et à un transport à roulettes dans le sens contraire de la marche, amplifié par mon trajet en ambulance, le premier de ma vie, ça se fête, youhou, pour ma première visite aux urgences, ça se fête, youhou!


Je ne sais pas quelle est la place de l'hôpital universitaire local dans le classement national (en fait, si, je le sais, c'est 6è des CHU, j'avais besoin de le savoir en écrivant cette phrase, mais clairement, on s'en fout pour la suite), mais il semble en tout cas qu'un soin particulier soit apporté au casting lors des journées d'embauche. À peine abandonné par le brancardier mignon (et son collègue), c'est un interne au joli physique qui me prend en charge, juste après une courte escale dans une salle où on découvre, ô miracle, que ma glycémie est toujours normale (mais sur un autre doigt). Le miracle ne dure pas puisque Gérard (prénom fictif) laisse rapidement sa place à Brice (prénom fictif, ou pas), interne de douze ans et demi environ, qui s'amuse à me coller des électrodes partout, qui fait des guilis sous mes pieds, me serre les mains, tape sur mes genoux, me fait respirer, m'interroge sur mes dérives alcoolo-tabagiques, prend ma tension sur tous les bras, m'oblige à me déshabiller, me fait lever les jambes et suivre son doigt avec les yeux. Autant dire que je suis un peu à la fête, dans mon box n°2!

Les internes ayant beaucoup de patients (je ne sais pas précisément où ils se cachent, mais ils doivent exister), Brice laisse finalement sa place à une infirmière chargée de ma prise de sang et de ma perfusion pour me faire tenir jusqu'à mon scanner.
Mon scanner...
Ha ha ha.
Décidément, les infirmières ont un humour particulier.

Mais Ophélie (prénom fictif, je crois) se veut rassurante. Pour commencer, elle ne piquera qu'une fois, à la fois pour la perf et la prise de sang. Si c'est pas cool, çà! Elle tâte donc mes veines, à l'intérieur du bras, en choisit une, puis plante, puis constate que j'ai des veines fines et sensibles, qui roulent pour éviter les seringues. Alors elle tâte la main, choisit une veine, puis plante. Puis elle remonte sur le bras, à l'extérieur, choisit une veine, puis plante. Et appelle une collègue, qui redescend un peu sur le bras, risquant la fuite, choisit une veine, puis plante, puis constate que j'ai des veines fines et sensibles, qui roulent pour éviter les seringues. Alors, à la barbare, elle plante à l'intérieur du coude, où là, ça doit passer, quitte à ce que le sang coule naturellement dans le flacon, en baissant le bras juste au-dessus et en visant bien! Pour fêter cette réussite, j'ai même droit à une promotion et à une place privilégiée dans le couloir, en attendant.

Je ne sais pas ce que j'ai, je ne sais pas combien de temps je devrai attendre avant d'avoir une place au scan, j'ai un voisin qui voudrait partir et qui est un peu casse-couilles avec les infirmières qui l'ont oubliée comme les médecins alors que tous ses examens sont faits, mais je suis au milieu du passage, face aux infirmières derrière le comptoir (qui, en conséquence, jugent opportun de m'offrir une couverture), à l'endroit idéal pour voir passer le joli médecin qui m'a superbement ignoré, Brice 12 ans qui est désolé mais ce ne sera pas avant le début d'après-midi, un charmant infirmier dont c'était le dernier jour et qui n'a même pas apporté un gâteau pour ça, sa collègue dans la même situation avec laquelle ils évoquent les nouvelles difficultés de l'examen, tout le monde qui ne sait pas quoi répondre à mon voisin... 11h...
12h...
13h...
14h...
Les temps changent. Je ne reconnais plus les gens. Mes voisins m'abandonnent les uns après les autres, les infirmières partent, remplacées par d'autres, certes parfois masculins et fort charmants, mais avec lesquels le contact ne s'établit pas, même une heure et demi plus tard, alors que je n'ai toujours pas bougé... Enfin, si, on m'a un peu poussé vers la droite, pour me rapprocher des glaires de mon voisin.

Puis tout se déclenche à 15h30, on m'emmène, comme ça, d'un coup, sans prévenir, vers l'ascenseur magique qui fait un peu vomir, puis le scanner. On m'allonge, on me dit de ne pas bouger, on m'introduit sous la machine, je ne bouge pas, on m'injecte de l'iode pour mieux voir, on me prévient que ça procure une sensation de chaleur et j'ai l'impression de m'être pissé dessus, on me fait bloquer ma respiration, on me redit de ne pas bouger pour le deuxième tour, on dit «il bouge un peu, le V.», puis on me ramène à la maison dans le couloir, les résultats seront là d'ici une demi-heure qui durera en fait plus d'une heure et demie...

Seulement voilà, six heures dans un couloir, ça passe, mais d'un coup, à la septième heure, je suis lassé et assoiffé. Je demande un verre, mais j'ai une perfusion, mais je n'ai pas bu depuis sept heures, le monsieur aimerait boire, il aimerait partir aussi!, et paf, en dix minutes, on vient me décoller la perf, et ça fait mal, puis on me permet de me rhabiller dans les toilettes et Brice 12 ans m'amène les résultats, confirmant que, en fait, tout ça n'était qu'une migraine.

Franchement, va-t-on à l'infirmerie pour une migraine?!

Commentaires

cecilette a dit…
oui mais une migraine bizzare qd meme ! comment ça peut agir sur ton cerveau comme ça ? on t'as pas plus expliqué ? ça te fait pas peur ?
Pierre a dit…
Pourquoi peur? On m'a très vaguement expliqué, parce que j'ai un neurologue qui est venu me parler, mais il était visiblement encore sous le choc de la mort de son chien... Il y a quelques antécédents familiaux, certes, mais ça se soigne.
Cindy a dit…
J'aime pas te savoir sur un brancard !
Et cette attente, insupportable !
Et t'as retrouvé le Gérard d'Antibes ? :D
Pierre a dit…
Avec le recul, c'était plutôt un Maxime qu'un Gérard, je dirais...
Monty a dit…
Moralité 1 : Il ne faut jamais aller aux urgences si l'on peut aller plutôt chez son médecin traitant.
Moralité 2 : Il existe un dieu de la géométrie susceptible et vengeur qui n'a pas dû apprécier que tu lui refuses le sacrifice d'une classe de sixièmes tout innocents et potelés.

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