Septante ans... et toutes ses dents?

Tout a commencé le 21 avril 1938, à Marcinelle, dans la banlieue de Charleroi. 25 ans plus tard, le journal Spirou fêtait ses 25 ans et son premier vrai anniversaire. Derrière la médaille en or qui illustrait la couverture, le programme des festivités était à la hauteur de l'événement: le grand retour de Spirou et Fantasio pour la suite tant attendue de QRN sur Bretzelburg, un récit complet de vingt pages avec Les Schtroumpfs, deux mini-récits à construire (un dans chaque cahier que composait le numéro), les coulisses de la fabrication du journal, mais aussi la diligence de Lucky Luke à construire (nécessitant de lire d'abord l'histoire des Schtroumpfs qui ne survit pas à la construction) et les révolutionnaires transblagues, imprimées sur un papier juste fin comme il faut afin de faire apparaître des gags avec Lucky Luke ou Boule et Bill en les posant sur la fenêtre.

Sept ans et une génération plus tard, pour changer un peu du rituel numéro spécial de vacances (et avec huit mois d'avance sur la réalité), Spirou fête ses 33 ans en fanfare, le Marsupilami l'annonce dès la couverture. Rob-Vel et Cauvin offrent un récit complet historique du héros-titre, dont la nouvelle grande aventure, Du glucose pour Noémie, commence un peu plus loin, signée Fournier. On rend aussi hommage à Tif et Tondu et aux nouveaux héros, Les Petits Hommes et Sammy, ceux qui ont remplacé au pied levé Lucky Luke et quelques autres dont les auteurs sont partis à la concurrence à la fin des années 60. Le tout est agrémenté d'un Marsubilboquet, probablement un bilboquet en forme de Marsupilami, mais je ne pourrai pas confirmer, je n'ai fait que voir ce numéro en vrai, une fois, et sans supplément.

Quand Spirou a 40 ans, en 1978, il vient de connaître Le Trombone illustré (abandonné au bout de 31 numéros) et vit dans une certaine instabilité, après avoir enfin remplacé la formule de 1971. Thierry Martens cède son poste à Alain De Kuyssche, Roba signe le nouveau logo, avec le calot de groom sur le I et le numéro du numéro dans la boucle... Et pour les 40 ans, le cinéma est à l'honneur dès la couverture très classe qu'on regarde en chantonnant Tatalala tatatatatata talala, jusqu'au ciné-gadget offert: des dias et un projecteur à construire pour afficher sur son mur une jolie image fixe de Spirou, Fantasio et Spip, ou Yoko Tsuno. Les héros se mettent au diapason de la quarantaine, que ce soit Génial Olivier, Le Flagada ou L'homme aux phylactères, tandis que Buck Danny, Docteur Poche et Spirou débutent de nouvelles péripéties. Deliège délaisse Bobo pour raconter le destin de celui qui est né avec Spirou!

1983 est à nouveau une année-charnière, alors que la formule où tout change de Philippe Vandooren se profile à l'horizon. Spirou a 45 ans, mais délègue son numéro souvenir à sa collection Spirou Album+. Cinq ans plus tard, alors que Patrick Pinchart fait ses premières armes à la rédaction en chef, Spirou, qui deviendra bientôt Spirou Magaziiiine, fête ses 50 ans. Pour l'occasion, toute la vie du journal est retracée en 25 semaines dans un supplément hébdomadaire, pour que la fête dure plus longtemps. Quant au Jour J, il n'offre rien de plus qu'un grand concours richement doté, le Spirou-Loto, et un grand jeu de société, le Spirou-Pursuit. Pas de pages en plus, mais la tradition du nouveau Spirou est au moins respectée, avec le début de Angoisse à Touboutt-Chan dans les pages du journal. Spirou et Fantasio sont depuis déjà cinq ans animés par Tome et Janry.

En 1998, la couverture du numéro 3132 annonce fièrement «Spirou a soixante ans... et toutes ses dents». Comme d'hab, les héros y débutent une nouvelle aventure. Celle-ci s'intitule Machine qui rêve et fait doublement l'événement: Spirou n'était plus apparu dans le magazine depuis 1995 et il semble avoir profité de cette absence pour recourir à la chirurgie esthétique avant de se lancer dans cet opus qui s'annonce particulièrement sombre (et déroutant). Pour le reste, le journal est tout à fait normal, avec sa marge rouge en couverture et ses 48 pages seulement... Mais une faille spatio-temporelle semble avoir touché la rédaction, car, en vrai, ce numéro des 60 ans très décevant n'est que le supplément souvenir du vrai numéro de la semaine: le numéro spécial centième anniversaire, spécialement imprimé sur papier pour l'occasion et dans lequel les héros n'ont plus de nez, car il est de notoriété publique que les nez ne servent plus à rien, en 2038.

En 2003, la fête est bien plus limitée pour les 65 ans. Pas de nouvelle aventure des héros (et pour cause, ils n'ont plus d'auteurs depuis le trop déroutant Machine qui rêve), pas de pages en plus. Hormis la couverture qui reprend la toute première, rien ne distingue ce numéro d'un autre... Si ce n'est par la présence de deux agrafes, accessoire oublié depuis des mois par souci d'économies (c'est dire comme le journal ne va pas si bien qu'il veut le faire croire) et qui fait un come-back exceptionnel pour tenir le poster offert, représentant vu de près 2500 couvertures d'albums du catalogue Dupuis et vu de loin une belle tête de Spirou (qui servira plus tard de couverture d'album du journal).

Au cours des cinq ans suivants, le trouble s'accentue à la rédaction, avec la mort du petit frère néerlandais, la naissance d'une nouvelle formule, le renvoi du rédac-chef, et la nouvelle nouvelle formule de son successeur, très chère et sans apport de lecteurs... Puis encore un renvoi de rédac-chef, et une nouvelle nouvelle nouvelle formule, lancée très précisément le 16 avril 2008, à l'occasion des 70 ans du magazine, se débarrassant enfin du logo de l'ère Tinlot (1993-2003) mais en retrouvant le côté épuré de sa dernière formule (2003), revenant à l'album de 44 pages complet en 4 semaines (comme à l'ère Vandooren, 1983-1987), et réengageant Yann pour son irrévérence (qui fit déjà brièvement ses preuves dans les hauts de page de l'ère De Kuyssche, 1981). Si ce condensé d'histoire ne suffisait pas, sur 52 pages (seulement), on reparle aussi des débuts septante ans plus tôt et Spirou vit deux récits complets, sous le crayon de Bravo et de Yoann & Vehlmann. Poussant à son paroxysme la confusion du «mais finalement, qui c'est qui dessine Spirou et Fantasio?», 70 auteurs du journal, passés, présents ou futurs, dessinent un Spirou à leur manière en supplément. Quant au cadeau pour les collectionneurs, il consiste en 4 couvertures différentes, de quoi faire (un peu) gonfler les ventes...

Même si les chiffres de ventes ne sont pas rassurants et ne permettent absolument pas d'être certain que le numéro centenaire verra effectivement le jour, les septante ans du journal et de son héros sont quand même dignement fêtés en Belgique, où la Poste vient d'émettre une série de 5 timbres illustrés par Franquin et où, aujourd'hui exacte
ment, le Manneken-Pis revêt ses habits de groom.

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