Dix ans...

En cette période de fêtes, de paix sur Terre et de Pardon entre les Hommes de bonne volonté, je sais que vous saurez faire comme si nous nous parlions encore régulièrement, sans qu'il soit nécessaire de faire un préambule interminable pour dire que, c'est vrai, nous ne nous parlons plus très régulièrement (et si vous êtes là, c'est sûrement que vous le regrettez au moins un peu; moi aussi), avant de nous engager dans des promesses embarrassantes pour changer tout ça, qui, nous le savons, ne seront pas tenues car on n'est plus en 2004. Pour être plus proche de la réalité historique, il aurait sans doute mieux valu que je dise 2005 voire 2006 au lieu de 2004, mais, en cette période de fêtes, de paix sur Terre et de Pardon entre les Hommes de bonne volonté, je sais que vous saurez laisser passer ce petit arrangement, d'autant que, finalement, en 2004 déjà, des tas de gens écrivaient déjà des blogues. C'est même pour ça que, moi aussi, j'ai commencé à écrire un blogue en 2004.
Hé bien, vous savez quoi, c'était il y a dix ans.

Dix ans de blogue, c'est rond c'est bien, ce serait une occasion idéale pour faire un bilan, un top 10 de classements de mes propres billets préférés, des meilleurs commentateurs ou que sais-je encore, mais ce serait passer sous silence cette réalité terrible, cruelle, implacable mais avant tout réelle: peut-on dire que ce blogue a vraiment dix ans? Sept, sans problème. Huit, à la limite. Dix...
Mais oui, c'est un fait inattaquable, quand j'ai ouvert ce blogue (pas exactement ce blogue, mais vous avez saisi l'idée), nous étions le même jour, à la même heure, dix ans plus tôt.

Je me demande si on vendait encore des cassettes audio, il y a dix ans.
On pouvait encore utiliser le minitel, en tout cas... Dans les foyers où internet n'avait pas pénétré, pas même avec des forfaits de deux heures par mois à 39€, c'était le seul moyen de communiquer avec le monde.
Et là, je parle de moi.
Et quand je dis le monde, ne nous voilons pas la face, nous avons tous très bien compris de quoi il s'agit et puis bon, il y a prescription, et puis bon, d'abord, ce n'est pas sale, et puis bon, j'vous ferai dire que j'étais visiblement pas tout seul.
Enfin, si, justement, mais revenons-en plutôt au 23 décembre 2004.
Où je n'ai pas utilisé le minitel. Je n'ai pas les factures téléphoniques détaillées de ma mère pour le prouver à 100%, mais je suis néanmoins à peu près sûr de moi.
Parce que, justement, le 23 décembre 2004, cela faisait déjà quelques semaines qu'internet avait fini par pénétrer le foyer, destinant dorénavant le minitel à prendre la poussière, certes progressivement mais inéluctablement. Et en ce jour de neige particulièrement froid, alors que je me retrouvais seul pour la soirée, c'était enfin l'occasion de sauter le pas et de créer ce blogue (enfin, pas tout à fait ce blogue mais, ho, hein, bon, vous n'avez pas fait de commentaire sur ma météo imaginaire -bouleversé par cette description pathétique, sans doute-, alors cessez ces remarques intempestives qui font perdre du temps à tout le monde).

Si un inspecteur de mathématiques s'était trouvé là, dans ce grand salon bien froid et bien vide, il aurait peut-être tenté de faire la conversation avec le charmant jeune homme assis devant l'ordinateur et, pour briser la glace, aurait pu lui demander où il se voyait dans dix ans. Je sais que la situation peut paraître improbable à priori, mais je vous assure, c'est comme ça que les inspecteurs de mathématiques brisent la glace. Quant à savoir comment il serait rentré dans cet appartement et même pourquoi il aurait voulu entrer dans cet appartement, encore plus pendant des vacances de Noël, permettez-moi de ranger ces interrogations avec les questions qu'il aurait mieux valu ne jamais se poser, pour, plutôt, lui répondre.
«Devant un ordinateur à l'écran bien plus grand, dans un salon bien plus petit, qui n'est d'ailleurs pas tout à fait un salon puisque c'est une chambre aussi, tournant le dos à la télévision où pourtant, Julien Courbet tente de faire une émission d'humour (et y réussit peut-être, mais le son est bien trop faible pour le savoir), en constatant que, si le vélo ne s'oublie pas (du moins, c'est ce qu'on dit, mais s'appliqué-ce vraiment à quelqu'un ne sachant pas faire de vélo?), comment écrire un billet de blogue, si, un peu.» aurait été une bonne base pour fournir la bonne réponse, avec quelques détails supplémentaires à faire émerger au détour de la discussion.

Mais sans doute pas celle que j'aurais donnée (car oui, je parlais de moi).
Si un inspecteur de mathématiques avait eu la curieuse idée de passer son pré-réveillon de Noël dans le salon familial pour m'interroger sur ce que je serais dix ans plus tard, et si j'avais décidé de lui répondre (ce qui n'est pas moins improbable), ce n'est certainement pas l'angle que j'aurais choisi. Parce que, quitte à taper la discute avec un inconnu qui s'invite chez les gens, j'aurais peut-être raconté effectivement comment je voyais mes trente ans. Et c'était d'autant plus simple que je ne les voyais pas.
D'ailleurs, la dernière fois qu'un inspecteur de mathématiques m'a posé cette question, il y a environ trois ans, c'est en substance ce que j'ai répondu, incapable que je suis de me projeter aussi loin dans le temps, moi qui ne sais déjà pas planifier des vacances à court terme. Puisque ma note pédagogique a été augmentée de trois points (et si vous ne vous rendez pas compte: oui, c'est pas mal), ça ne devait pas être une réponse rédhibitoire, mais ce n'est pas comme ça que je ne voyais pas, il y a dix ans.
À l'époque, je me projetais! Depuis le lycée, régulièrement, bien au chaud dans mon lit, attendant le sommeil, j'évaluais les perspectives, comparais les différentes solutions, cherchais celle la plus adaptée à ma situation (notamment en tenant compte du fait que, par exemple, je ne sais pas faire les nœuds coulants), imaginais les conséquences. Qui se ressemblaient dans à peu près tous les cas: je serais mort avant mes trente ans et ne manquerais pas à grand monde. Oui, ma famille, bien sûr, mais ça ne fait pas beaucoup. Et puis, oui, ces gens avec qui je passais des heures chaque weekend au téléphone, à les aider à faire des exercices de maths ou de physique, mais eux, pourraient facilement trouver un remplaçant.

Certes, j'exagère un peu. Il y a dix ans, j'étais en licence et je crois bien que ces pensées commençaient à se raréfier (et, c'est certain, je ne passais plus mes weekends au téléphone et c'est là l'un des nombreux points positifs de la prépa, quand bien même je m'y suis/en plus de m'y être planté). Mais il y a dix ans, j'étais ce garçon de vingt ans, encore puceau et qui commençait à trouver le temps long, qui n'avait jamais rien fait de sa vie et ne savait pas vraiment quoi en faire, qui parlait avec pas mal de gens à la fac comme avant au lycée mais qui n'avait pas vraiment d'amis... et incapable d'envisager avoir trente ans un jour. Pour quoi faire?

Et il y a eu ce blogue.
(pas que, hein, quand même...)

En ce temps-là, j'avais vingt ans.
Dix ans plus tard, j'ai finalement atteint mes trente ans (et je ne suis même plus très loin des trente-et-un). J'ai un métier, fatigant et génial, qui me donne la sensation, souvent, de servir un peu à quelque chose. Il m'arrive d'être invité à des soirées où je peux désormais choisir de ne pas forcément aller (parce que je suis quand même un ermite au fond de moi). J'essaye de faire des trucs saugrenus, un peu à la dernière minute, et tâche d'avoir encore quelques premières fois de temps en temps (de l'avantage de n'avoir rien fait de sa vie avant 22 ans). Et puis, je parle de moi, de ce que j'aime, avec plus ou moins de détails, mais avec des gens que ça intéresse puisque finalement, il est apparu que ça pouvait exister.
Bon, je ne suis visiblement pas encore très bon pour pérenniser ces liens. Et il ne faut pas trop s'attarder sur ma vie sentimentale, ni même sur ma vie sexuelle quasiment inexistante... Et je ne sais toujours pas faire de vélo, à part pour aller en ligne droite ou tourner à gauche. Et on passera sous silence que, dix ans plus tard, malgré mille promesses faites en ce pages, j'ai toujours la même carte d'identité sur laquelle j'ai dix ans...
Certes, la vie de Pierre-de-30-ans n'est peut-être pas tout à fait exaltante, mais elle me plaît pas mal.

Commentaires

Romain a dit…
J’ai d’abord voulu attendre la date anniversaire de mon arrivée sur ce blogue (enfin, quand j’écris «ce» blogue, tu auras saisi la nuance, sur laquelle tu as bien fait d’insister) pour commenter ce post, que je n’attendais plus. Mais il aurait fallu que je retrouve exactement la date (et d’ailleurs, j’ignore s’il a existé une date en particulier où j’ai découvert ce blogue) pour pouvoir fêter mes dix ans - à moi - de commentaires. Et replonger dans les grandes heures de ton blogue peut me procurer autant du plaisir que de la nostalgie, alors j’ai abandonné l’idée de patienter, et je te souhaite donc dès aujourd’hui un joyeux anniversaire de blogue.
Je sais que tu sais - enfin, je crois que tu sais - que je ne te remercierai jamais assez d’avoir eu l’idée de créer ce blogue, ce soir-là. Bien sûr, il t’a accompagné dans ta vie personnelle et dans ta vie professionnelle, et j’ai pu être le témoin, à distance, de ta vie, mais tu as aussi permis à ceux qui t’ont lu, de passer de nombreux moments de plaisir. Car oui, quand il a fallu que je rattrape tous les posts écrits avant mon arrivée, je crois me souvenir d’un excellent moment de lecture. Et toutes les lectures suivantes ont aussi été des moments de plaisir. A tel point que je les attendais avec impatience. Tout comme j’attendais avec impatience de voir des photos de Pierre cachées dans les posts, qui pouvaient enfin me donner un autre angle de vue que cette photo de profil à contre-jour et en noir et blanc, avec une bouche ouverte et des yeux qui semblaient rieurs.
Je me rappelle très bien des fois où tu disais que tu ne connaîtrais jamais tes 30 ans. Je suis très heureux que tu les connaisses, que tu t’approches de tes 31 ans sans appréhension, que tu sois épanoui dans ta vie professionnelle et que tu vives de nouvelles premières fois.
Pierre a dit…
J'imagine qu'il existe une date précise d'un premier commentaire de ta part et que tu pourrais la retrouver en cherchant bien, mais cela correspondrait-il à ta première visite, je ne sais pas. Ça devait être vers mai 2005, non? Mais il me semble que je suis arrivé chez toi en passant par ailleurs (je me demande ce qu'Olivier est devenu, tiens... et pas que lui, d'ailleurs) et que c'est ensuite que tu es venu chez moi. À moins que, un peu troublé, j'aie hésité un certain temps avant d'écrire chez toi et que, entretemps, tu aies fait le chemin inverse... Enfin, bref, c'était en mai 2005, à peu près, non?
Merci, en tout cas. Si jamais tu avais l'occasion de célébrer dix ans de blogue (bien que, je l'avoue, je ne connaisse pas non plus la date), je pourrais à peu près écrire ce que tu écris. Sauf cette idée de chercher des photos cachées dans tes billets (mais peut-être que j'aurais dû, en fait?).
Nataka a dit…
Qu'est-ce que c'est bien d'avoir 30 ans, disait le philosophe (Yves Duteil, en fait (oui, on cite les auteurs qu'on peut, désolée)) et en ce qui me concerne c'est certainement mieux que 25.
Si pour ma part j'avais attendu les 10 ans de mon premier commentaire pour te souhaiter un bon anniversaire, ça aurait dû attendre le printemps 2016. Mais bloguer (et même lire les blogs des autres) demande un temps et une énergie qu'on a de moins en moins en vieillissant, et qui sait où on sera au printemps 2016. Bon anniversaire, Pierre, c'était pas toujours mieux avant mais il y a quand même pas mal de bons souvenirs.
Basto a dit…
Première visite sur ce blogue, totalement par hasard (conduit ici par google, avec comme objectif initial : savoir ce que devenait Rénan Mazeas ! Il me semble que le blogueur et moi-même sommes les deux seules personnes au monde à savoir encore que ce type a un passé d'acteur)... et lecture interminable de tous ces billets... Je ne pensais pas que le verbiage pouvait être aussi intéressant... et comme en plus, on a des points communs ! Merci, continue ainsi et peut-être à bientôt !
Pierre a dit…
C'est terrible, ces blogues qu'on laisse à l'abandon, avec des commentaires pour lesquels il faut trois mois avant d'être modérés... Pour un peu, on se serait retrouvé au printemps 2016 sans le vouloir!
Printemps 2006, dis-tu donc, Nataka? Je sais que nous conversâmes sur Picsou vers le début, mais je ne le situais plus dans le temps... C'est un plaisir!
(et force est de constater, au bout de cinq mois, que ni Luc, ni Olivier, ni... d'autres gens... ne sont passés ici, même par inadvertance... les années 2000 sont tellement loin!)

Basto, enchanté. Je vais prendre ce verbiage comme un compliment, vu le contexte, et serai ravi de te revoir dans le coin mais, il faut le reconnaître, les grandes heures de ces pages sont, je le crains, derrière moi.
Nataka a dit…
Mais ouais, quoi ! Cinq mois pour modérer un joyeux anniversaire, quand même !
Pierre a dit…
Non mais oui, pardon... Mais tu noteras que, pour ce commentaire pourtant légitimement mais vaguement désobligeant, moins de 4 heures!

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